L’aviateur de retour – Saint-Exupéry me surprend

J’ai eu un éclair fulgurant en lisant ce passage dans « Courrier Sud », un roman de Saint-Exupéry :

Les visages de ses amis à peine usés, à peine amincis par deux hivers, par deux étés. Cette femme dans un coin du bar : il la reconnaissait. Le visage à peine fatigué d’avoir servi tant de sourires. Ce barman : le même. Il eut peur d’en être reconnu, comme si cette voix en l’interpellant devait ressusciter en lui un Bernis mort, un Bernis sans ailes, un Bernis qui ne s’était pas évadé.

Dans plusieurs œuvres de Saint-Exupéry, il y a un relent de mépris mêlé de pitié pour les gens bien rangés dans leur vie bourgeoise et satisfaite. Ces réflexions viennent en contrepoint de l’exaltation des aviateurs qui, unissant leur destin à celui de l’aéropostale, embras(s)ent leur humanité.

L’aviation a tant transformé leurs vies que leur « moi » d’avant est bien mort. Pour eux et leurs camarades, sans doute. Mais pour ceux qui l’ont connus auparavant, il y a continuité entre ce Bernis qui venait au bar deux ans plus tôt et celui qui revient aujourd’hui de ses périlleuses expéditions dans le Sahara.

C’est curieux pourtant comme l’homme qui croit avoir fait peau neuve, s’étant anobli en vol, prend peur en se voyant renvoyé à son image d’antan, comme si l’œil du barman avait le pouvoir de faire surgir de sous la veste en cuir le « Bernis mort ». Le rejet de ce personnage qui était lui l’empêche de savourer son retour.

Je comprends tout à fait Bernis quand il détourne le regard du barman et quand il désespère du décalage entre sa terre imaginée et ce qu’il y trouve réellement :

Il avait craint de trouver les choses différentes et voici qu’il souffrait de les découvrir si semblables. Il n’attendait plus des rencontres, des amitiés qu’un ennui vague. De loin on imagine. Les tendresses, au départ, on les abandonne derrière soi avec une morsure au cœur, mais aussi avec un étrange sentiment de trésor enfoui sous terre.

Finalement, il trouvera une harmonie nouvelle à la source qu’est Geneviève, l’aimée, l’amie, la compagne d’enfance et de souvenirs.


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